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Urbania – La forêt boréale n’est pas une marque de nourriture pour chien

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Pour régler une poursuite des Cris qui l’accusaient d’avoir coupé du bois dans des territoires qui ne lui appartenaient pas, le gouvernement du Québec a consenti en juillet dernier a protéger de l’exploitation industrielle de nouveaux territoires. Fausse bonne nouvelle: les Cris craignent plutôt que cette entente vienne sanctionner la destruction de la dernière aire vierge de la Vallée de la Broadback. Nous nous sommes donc rendus sur place pour voir les vestiges de la forêt boréale avant qu’elle ne disparaisse.

Les controverses semblent se succéder cet été à Waswanipi. Autour du feu où grillaient des outardes, les Cris riaient encore du pauvre bougre qui, la semaine précédente, avait perdu un F-150 de l’année et 12 500$ en argent parce qu’on avait trouvé une paire de jumelles dans son bateau – le seul accessoire proscrit durant le très populaire derby de pêche du village. « Et les jumelles, c’était même pas à lui, mais au guide qu’il avait engagé! », en rajoute, tout sourire, Stanley Saganash, un des juges du tournoi.

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Mais mentionnez l’autre sujet qui préoccupe le village, et les visages se crispent. À la mi-juillet, le Grand Conseil des Cris a signé une entente avec le gouvernement du Québec, mais sans l’aval des élus de Waswanipi. Le noeud de l’affaire? La nouvelle aire protégée par Québec en échange de l’abandon de poursuites légales contre lui n’inclut pas une des dernières parties intactes de la forêt boréale du Québec.

Pour être considérée intacte, une forêt ne doit pas avoir subi de perturbations par l’homme pendant 100 ans – pas de ponts, de lignes électriques, de barrages, de chemins forestiers – et être assez grande pour soutenir la biodiversité. C’est ce qu’on pourrait objectivement appeler une « vraie » forêt. Et c’est devenu très rare. Même si le Canada compte le quart des forêts intactes restantes au monde, ça prend quand même, de Montréal, 15 heures de voiture et 1 heures de bateau pour arriver à ce qui en reste.

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Waswanipi n’est pas un très bel endroit. Des jolis noms d’arbres pour des rues bordées de bungalows du gouvernement. La richesse de Waswanipi, c’est le territoire qui l’entoure. Divisée en 62 « lignes de trappe » familiales, la forêt est héritée de père en fils depuis des temps immémoriaux. « Mon grand-père me racontait que son père lui avait montré un vieux canot d’écorce recouvert par 1 mètre de lichen. Combien de temps ça prend tu penses pour que pousse un mètre de lichen? », plaide Don Saganash, le tallyman chargé de superviser la parcelle de sa famille et qui a pris la tête du mouvement de contestation.

La revendication de Saganash et des autres gardiens de la forêt est simple: sanctuariser les 10% qui sont encore intouchés dans la vallée de la Broadback. Ce serait suffisant pour espérer que la nature reprenne ses droits lorsque nous aurons trouver d’autres moyens que de couper des arbres bi-centenaires pour annoncer le prix de la perceuse en spécial cette semaine.

Saganash, comme les autres Waswanipiwilnu, ne sont pas contre l’exploitation forestière, loin s’en faut. Ils touchent des redevances sur le bois coupé chez eux et possèdent leur propre compagnie de foresterie, Mishtuk, qui fournit de rares emplois permanents et bien payés à la communauté. D’ailleurs, plus de 90% de leur territoire est déjà touché par les coupes forestières. Une solution proposée par le biologiste Nicolas Mainville pourrait être d’intensifier la coupe sur le territoire qui est déjà scarifié par les machines.

Les Cris sont particulièrement inquiets parce qu’ils n’ont pas le pouvoir de voter une loi qui arrêterait l’exploitation industrielle sur leurs terres. Ils peuvent y pêcher, trapper et chasser, mais les arbres et le sous-sol appartiennent à Québec et aux compagnies à qui il a accordé des « claims ». Que vaut le droit de chasser sur un territoire où il n’y a plus d’animaux, demandent-ils avec raison. D’ailleurs, les Cris ont déjà arrêté de tuer le caribou, à la demande des Blancs, pour éviter de stresser davantage les hordes qui rapetissent à mesure que les machines montent vers le nord.

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Dès l’annonce de l’entente, Waswanipi a fait connaître son mécontentement au Grand chef cri, Matthew Coon Come, qui l’a relayé au Premier ministre Couillard. Celui-ci a confirmé « l’intention du gouvernement du Québec d’avoir des discussions sérieuses » avec Waswanipi. Mais deux mois plus tard, les Cris sont toujours dans l’attente et se demandent ce qui va arriver en premier: un décret ministériel ou les timberjacks.