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Kurupt FM renverse le vrai dans le faux.

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Une vraie émission de télé à propos d’animateurs d’une fausse radio pirate, eux-même inspirés de véritables Anglais immortalisées dans un documentaire quelques années plus tôt. Et dans une tournure d’événements qui n’aurait pas déplu à Guy Debord, MC Grindah et DJ Beats, les têtes «pensantes» de Kurupt FM, actualisent dans la réalité l’inaccessible succès auquel aspirent maladroitement leurs personnages.

«People Just Do Nothing» suit les tribulations quotidienne d’un groupe de losers qui tentent de faire fonctionner du mieux qu’ils peuvent Kurupt FM, une radio pirate à l’auditoire inversement proportionnel à l’ambition de ses animateurs.

Contrairement à The Office (à qui PJDN emprunte le producteur Ash Attala et de nombreuses mécaniques comiques) qui s’adressait à tous les esclaves salariés de Cubiculand™, ou bien Spinal Tap, qui parodiait des archétypes d’un genre presque universel (le rock), le public cible de PJDN parait restreint.

Mais il n’est pas nécessaire d’avoir fait de la pill dans un ensemble Moschino pour rire. Prisonniers du passé, les personnages de la station pirate glorifient leurs années passées au sommet de la pyramide de la pertinence culturelle, et, même s’ils se savent dépassés, refusent 1) de croire que le monde a changé pour le mieux 2) de s’y adapter. Le «has been» impénitent est une figure comique universelle.

De fait, les archétypes d’une sous-culture contemporaine (le MC arrogant, le DJ soumis, le beatmaker insipide, etc.) n’ont pas été exploités aussi habilement depuis «Fear of a black hat» (1994) et CB4 (1993).

On pourrait s’arrêter là, et ce mocumentaire mériterait quand même que vous vous y intéressiez pour les qualités intrinsèques tout juste énoncées.

PJDN se distingue des autres faux documentaire en s’étant parfaitement intégré dans les sphères qu’ils parodient. Le crédit revient autant aux acteurs qu’à l’industrie. Boiler Room, Mixmag, Fact, RinseFM, BBC1 ont d’emblée joué le jeu. «La série est bien vue et aimée du milieu, explique Son Raw, qui suit la scène grime pour Fact et Thump. «Les acteurs se sont développés une carrière parallèle en jouant leur personnage dans la vraie vie», poursuit le journaliste.

La légendaire capacité d’auto-dérision des Anglais y est assurément pour quelque chose, mais c’est aussi parce que la satire vient de l’intérieur. Allan Mustafa, Steve Stamp, Asim Chaudhry et Hugo Chegwin ont les mains dans la culture dont ils se moquent depuis longtemps. Outre la crédibilité que cela leur procure, leur implication à divers degrés dans la musique leur permet de se défendre derrière un micro ou en DJ set.

Peut-être plus important encore: ils savent faire danser les gens tout en les faisant rire. C’est une proposition bienvenue pour un genre où les concerts sont des compétitions d’airs bêtes.

L’arrêt londonien de la tournée «Champagne Steamrooms» est le signe indéniable que Kurupt FM est devenue «plus qu’une émission de télé». Devant un KoKo plein, Kurupt FM a fait défiler des légendes des années 90 du grime et du UKG et Stormzy, le MC à l’apex de la Grande-Bretagne. Une kermesse qui n’était pas sans rappeler celle-là.

À la fin de cette deuxième partie, vous devriez avoir plusieurs onglets Youtube d’ouverts, et des téléchargements en cours.

Pourtant, le plus beau, le prestige, on l’a gardé pour la fin.

Kurupt FM, avant d’être l’émission en ligne la plus écoutée de BBC3, longtemps avant d’être nominé pour un BAFTA, renouvelé pour deux nouvelles saisons et booké pour jouer à Ibiza, c’était des gars qui mettaient des capsules sur Youtube. Clairement, pour le ton, The Office a été une grosse influence. Mais pour le contenu, presque tout vient d’un documentaire trop-gros-pour-être-vrai: Tower Block Dreams. Ils y ont tout pompé: des lignes narratives, le tempérament de «MC Killer», les tics de langage… jusqu’aux noms de DJ Decoy et DJ Beats.

Guy Debord, nul doute, aurait apprécier ce renversant moment de vrai dans le faux.