Textes

J’ai assisté à la Commission Charbonneau et j’ai vu la Justice en action.

C’est un principe: Quand on m’invite, je viens.

Ce n’est peut-être pas la chose la mieux indiquée, mais la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction aka la #CEIC aka la Commission Charbonneau aka Omerta 4, est ouverte au public. C’est gratuit, c’est bien placé et si vous trouvez que c’est un bon show à la télé, c’est encore plus le fun en vrai.

La Commission travaille de 9h30 à 12h30 et de 14h00 à 16h30. Parce que c’était ma première fois et que je ne savais pas si c’était plus comme le théâtre (les retardataires non-admis après le début de la représentation) ou le cinéma (tu rentres et tu sors quand tu veux), j’ai pas pris de chance et suis arrivé pour 14h.

***

14h02

Un beau panneau clair nous dirige vers le 9e étage. Là, une madame est assise derrière une table. On me demande ce que je veux, je réponds «assister à l’audience». Deux agents m’escortent vers une salle avec un détecteur de métal. La fouille est très complète. Plus qu’à l’aéroport. Le gardien regarde dans mes souliers de soccer, tâte mes bas de soccer, déplie mes shorts de soccer. Il ouvre tous les zips de mon sac et regarde si mes allumettes ramenées de Las Vegas sont de vraies allumettes.

14h05

L’agent trouve le mini-couteau sur mon porte-clé. On me dit que je ne peux pas rentrer avec, ni le cacher, ni leur laisser ( et il n’y a pas vestiaire).

14h15

Je reprends mes affaires, sors dehors, trouve un coin où cacher mon porte-clé, et remonte. Les agents sont très impressionnés par ma rapidité. Re-fouille.

14h20

Après avoir tout remis dans mon sac (conseil: n’amenez pas de sac, et vérifiez que vos poches sont cachères), dans mes jeans et mes manches de manteau, je rentre. Je m’assois un peu n’importe où, parce qu’il n’y a vraiment pas grand monde.

14h22

Je m’étends le bras sur le dossier de la chaise d’à-côté. La gardienne de sécurité me dit que c’est interdit. J’obtempère.

14h25

Me Gallant (celui qui a un peu la voix de Richard Martineau) est en train de passer en revue les appels entre Robert Marcil, le témoin du jour assis quelques mètres devant moi, et Giuseppe Borsellino, l’entrepreneur de la semaine d’avant qui aime beaucoup dire «bateau». Constat: Les deux «relations d’affaires» s’appelaient souvent.

14h30

C’est un peu drôle, parce que le cellulaire d’un des avocats sonne. Bonus malaise: ce n’est pas une sonnerie classique, mais une chanson très CKOI.

14h31

France Charbonneau ne parle pas souvent, mais elle joue vraiment une game de regards intenses avec le témoin. Elle ne sourit jamais et garde ses yeux intimidants en permanence. Elle s’adresse pour la première fois au témoin. C’est cinglant, et tout le monde rit, parce qu’il a l’air de s’être fait pogner à mentir par la professeur.

14h34

Robert Marcil utilise beaucoup le mot «souvenance». Ça fait 1947 et changement de «à mon souvenir», mais ça ne plaît pas vraiment plus à la Commission.

14h36

Je découvre une figure moins connue de la Commission: Madame Blanchette. C’est elle qui gère toutes les preuves en PDF qui défilent sur les écrans. La caméra de la télé ne la montre jamais. C’est peut-être pour ça qu’elle ne sourit pas beaucoup.

14h38

La juge Charbonneau à l’air d’un lézard. Elle peut rester fixée pendant 3 minutes, et elle bouge très lentement.

14h43

Robert Marcil a l’air d’un épais (une des nombreuses fois), parce que Me Gallant montre une lettre qu’il a envoyée à une date X (genre le 3 mai), mais dont la pièce-jointe date du futur (genre 7 juin).

14h52

Marcil s’est fait mettre dehors de la Ville après s’être fait pogner à avoir accepté un voyage luxueux en Italie, payé par Borsellino, un entrepreneur de la fameuse «équipe des égoûts» qui venait de se faire donner un contrat de 5 millions sans appel d’offre par le même Robert Marcil. Me Gallant montre que les 2 hommes se parlaient souvent, et que les appels arrivent souvent quelques heures avant que des montants de la Ville soient versés à l’entreprise de Borsellino. Théorie de la Commission: l’entrepreneur appelle Marcil pour qu’il le paye plus vite que les autres contracteurs.

14h55

Le commissaire Renaud Lachance parle pour la première fois. Il y a clairement une dynamique bon cop-bad cop entre lui, Gallant et Charbonneau, mais je ne comprends pas encore qui occupe quel rôle.

14h58

Monsieur Lachance est très bon. Il amène très bien une question qui peinture Marcil dans le coin. Avant de répondre, Marcil se frotte le nez. Je ne joue pas au poker, mais c’est un des «tell» les plus évidents que j’ai vu de ma vie.

15h05

Maitre Gallant détaille le voyage en Italie de Marcil (TGV en première classe, chambre à 700$ la nuit, restaurant coté). Il fait une première joke: «Avez-vous gagnez à la lotto, monsieur Marcil. Moi-même je suis fonctionnaire, pis je pourrais jamais me payer ça».

15h07

On parle plus en détails du voyage en Italie. Marcil dit qu’il ne savait pas où ils allaient, que c’était Borsellino qui était en charge de l’itinéraire. La juge passe une remarque qui montre qu’elle ne le croit pas une seconde. Encore une fois, tout le monde sourit/rit, même le garde de sécurité assis pas loin.

15h07

Maître Gallant fait une autre bonne joke: «Vous me dites que 2 semaines avant le voyage, vous voyez Borsellino, et puis vous ne parlez pas de ça. Vous ne savez pas si vous allez dormir dans un hôtel 5 étoiles, 4 étoiles ou dans une auberge de jeunesse ? Vous voyagez avec madame en plus ! Pis ça intéressait pas Madame de savoir où vous alliez?». Les avocats sourient/rient.

15h18

Me Gallant annonce la pause avec un gros teaser: «Mais là pendant que vous êtes en Italie, vous avez fait des appels avec votre téléphone cellulaire. Votre téléphone payé par votre employeur. Ça, ça a été une petite erreur, hein, M. Marcil ? On va y revenir plus tard.» Boom. J’avais vraiment hâte d’entendre son punch.

15h30

C’est la pause. Il y a un gars avec un micro qui dit à tout le monde de se lever pour la juge. Comme dans les films.

15h40

Je reste à ma place. J’écoute la conversation entre un vieux et un des agents de sécurité. Je me demande où Marcil prend sa pause. Il y a une vingtaine de personnes, toutes travaillant «contre lui». Elles ont toutes contribué à monter un dossier pour le planter devant tout le monde, à la télé d’état.

15h52

Tout le monde est à peu près revenu. Des avocats parlent assez fort de Marcil, à quelques mètres de lui. Il fait une face de «je fais tellement semblant de pas écouter que c’est sûr que j’écoute».

16h00

On se relève tous pour l’entrée du commissaire et de la juge.

16h04

C’est la dernière demi-heure, et c’est là que toutes les questions posées avant prennent leur sens. Encore très habilement, le Commissaire fait avouer à moitié à Marcil qu’il donnait des informations privilégiées aux contracteurs qui s’étaient rapprochés de lui avec des cadeaux. L’ex-fonctionnaire, très verbeux jusque-là, baragouine ses réponses. Il est clairement mal à l’aise.

16h09

C’est le moment que Me Gallant attendait depuis le début de ses questions sur le type de liens qu’entretiennent Borsellino et Marcil. «Vous échangiez des MSM [lol-lapsus] avec M. Borsellino. Avec le téléphone de votre employeur. Peut-être que vous pensiez que c’était plus discret que de l’appeler ? J’ai ici un document avec certains des PIN [les textos sur Blackberry, apparemment] et des SMS que vous vous êtes envoyés…»

16h10

Le tableau PDF est un peu trop grand et Madame Blanchette a de la difficulté à le manipuler.

16h17

C’est drôle quelqu’un qui lit des messages textes publiquement, encore plus devant l’auteur ou le récipiendaire. Me Gallant «fait les voix» en lisant les messages. Il y en a un où Marcil appelle Borsellino «Buddé» et Gallant se gâte particulièrement dans l’interprétation.

16h22

Maitre Gallant et Marcil utilisent le verbe «pinner», au lieu de «texter». Ça donne des drôles de phrases, genre: «Vous pinniez beaucoup avec Borsellino» ou «Je peux pas vous dire, ça m’arrivait de pinner avec plusieurs personnes». Je pense que j’étais le seul à trouver ça très drôle.

16h24

Comme un loup qui a mis sa proie affaiblie dans un coin, Me Gallant sort les dents lentement et avec satisfaction. Après s’être farci des «je me souviens pas», des «je suis pas sûr» et autres ramassis de demi-vérités et de poissons noyés, toute la journée, il cache à peine sa joie de pouvoir, et c’est le bon mot, «pinner» l’ex-fonctionnaire arrogant.

16h26

Avec 4 minutes à faire à la journée, il résume tout ce qu’il a montré comme preuves, ce qu’il a réussit à faire avouer à Marcil et que, finalement, Marcil était au centre de la magouille. Échec et mat. Les bons gagnent. Les méchants perdent. Séance ajournée. À demain. Levez-vous pour madame la juge.