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Entrevue 420 avec Dead Obies

NDLR: C’est, à ma connaissance, la première entrevue de Dead Obies à être publiée (sur 10Kilos.US #rip).

L’anecdote de Armand Vaillancourt est arrivée pour vrai.

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Quand il est entré au Quai des brumes, Armand Vaillancourt n’a ni reconnu A Tribe Called Quest dans les haut-parleurs, ni Yes McCan derrière la console de son. Word up famous, McCann est un des noms qui circulent le plus dans le circuit du battle rap québécois. Avec Jo RCA et Snail Kid (le frère de Jamaï, du K6A), eux aussi initiés aux fers de la joute rimée, ils sont probablement les visages le plus connus des Dead Obies, un collectif qui lance aujourd’hui une compilation de ses productions de la dernière année.

Contrairement à d’autres entités qui entretiennent un mystère autour de leur origine, les débuts de D.O sont clairs et précis. Autant qu’un cypher à 1h du matin entre bières et kush puisse l’être.

«C’était après un Word Up ! Hors concours, on était dans le salon de Fili [le co-organisateur et co-fondateur de la ligue de battle], et il a décidé d’allumer la caméra. On se connaissait pas vraiment. En fait je pense que c’est la première fois que VNCE [ndlr : le beatmaker du groupe] nous entendait rapper » (ndlr : sa face dans le vidéo cache mal son étonnement], explique McCann, qui formait alors une version embryonnaire de Dead Obies avec Snail Kid et 20Some.

Le trio se cherche une source de beats et VNCE et Jo RCA, alors «Cité Soul», étouffent un peu dans leur garde-robe de banlieue (pause). Nilla Bear viendra compléter Dead Obies. Quand il débarque à une session du groupe avec ses cahiers de rimes (en anglais), le grand brun confirme l’identité stylistique et linguistique – métissés – de D.O.

À leur rencontre, leur livraison vont rapidement s’influencer. Il n’y a qu’à écouter la différence entre le flow de RCA chez Fili et celui qu’il pose sur la beatape de VNCE, un an après. «Un peu comme les filles qui finissent par avoir leurs règles en même temps, je pense que nos styles se sont pas mal rapprochés», postule McCann, sourire en coin.

Cette malléabilité et cette capacité à réagir, à s’adapter aux autres, vient probablement aussi des déformations professionnelles des membres de D.O. Ils ont effet tous en commun d’avoir touché de près au jeu, à l’improvisation théâtrale, à l’animation. C’est un avantage certain lorsque vient le temps de performer, mais aussi de vendre un personnage, un univers, une singularité. Akim Gagnon, leur réalisateur attitré, contribue grandement à cette distinction identitaire. Ça leur donne aussi un recul salutaire par rapport au milieu tissé du rap québécois, limite incestueux et frileux.

Comme pour une partie du nouvel underground montréalais, de Loud & Larry à Maybe Watson et Jam & P.Dox, Dead Obies ont une position avant tout esthétique sur la langue. La fluidité, les assonances et la multiplicité des sonorités sont des critères beaucoup plus importants que, par exemple, la syntaxe ou l’orthographe d’un français orthodoxe.

«On ne vient pas de la même génération que mes parents, ou même de la tienne [NDLR : j’ai 28 ans]. En 1995, j’avais 4 ans. J’ai donc vraiment pas le même rapport au combat linguistique que des gens plus vieux», raconte VNCE. RCA rajoute : «Dernièrement, j’ai eu une bonne discussion avec ma mère sur ça, la langue. Pis on s’est entendu pour dire qu’on verrait jamais ça de la même manière».

Leur rapport aux raps qui les ont précédé est tout aussi incendiaire. Ils s’entendent tous pour dire que les artistes québécois n’ont jamais fait partie de leur paysage musical, même s’ils reconnaissent des «pionniers comme SP, Yvon Krevé, Muzion». En mars, au Word Up 9, dans son battle contre Jeune Chilly Chill, McCann ridiculisait la postérité des rappeurs de la vague électro-fluo des années 2000, une période creuse, selon eux. McCann et VNCE échangent : «J’ai l’impression que c’est le début du rap, ici. Jusqu’à Alaclair, il y a 2 étés, je trouvais ça mort. Là ça bouge, avec les ArtBeats, des crews comme Alaiz, K6A qui sont plus actifs, il se passe de quoi».

Mais être cocky, c’est permis. Surtout quand on a le matériel pour supportez ses bravades. Cette «Collation vol. 1», lancée progressivement à partir de 4h20, en ce 20 du 4e mois, c’est «en attendant». Quoi, on ne sait pas trop : la génération à laquelle ils appartiennent n’a pas l’ambition aveugle et accaparante de ceux qui n’ont pas grandi avec Napster et Bandcamp. Des EP, des projets collaboratifs, un featuring à doite et à gauche, rien de défini. Difficile de dire si le nom Dead Obies voudra dire encore quelque chose dans 5 ans. Mais qu’ils soient seuls ou en groupe, leur approche décomplexée et décompressée aura contribué à décoincer un peu leurs contemporains et, espérons-le, ceux qui les suivront.