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Armes et société: Les fusils des autres.

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J’ai évité toutes les discussions autour de Newtown. Il n’y a rien à dire d’un système dans lequel on a perdu le contrôle sur les armes en circulation. Que ça dérape en massacre une fois de temps en temps, aussi tragique cela-t-il puisse être, ce n’est pas une nouvelle, c’est une question de temps. On ne reproche pas à la pluie de mouiller.

Ensuite, les réactions sont du même acabit. Ce n’est pas parce qu’on ignore la ligne de lobby de la NRA la plupart du temps qu’elle n’existe pas pour autant. En trois mots: posséder une arme demeure la meilleure protection contre les armes.

La panoplie de statistiques qui montrent le lien entre la présence d’armes et les morts par armes ne les émeut pas, tout simplement parce qu’ils peuvent jouer au «mais si» à chaque fois: Que serait-il arrivé à Aurora s’il y avait eu des gardes armés, la police sur place et/ou un 9mm dans le tiroir de chaque prof ? Leurs prédictions sont aussi bonnes que les nôtres, les gens sensibles et raisonnés qui ont donné à d’autres la responsabilité de les protéger. Tout le monde pense avoir raison, mais en fait, on ne sait pas. Fermez les yeux dans la tempête, vous serez quand même trempés.

Le consensus au Québec a été de rire jaune devant Alex Jones et ses confrères, qui ont proposé les solutions tout juste énumérées. Leur manque de réserve, leur vilaine manie de ne pas écouter les autres et de faire fi de logique et de diligence sont, sans aucun doute, pathétiques et ont contribué à rendre leur proposition clownesque et insensible.

Mais la couleur du nez du bouffon ne devrait pas nous faire oublier que nous avons nous même adopter une suggestion similaire il y a cinq ans. En juin 2007, dans un contexte de hausse générale de crimes et de psychoses liés aux gangs de rue (Éclipse était formé è peu près un an plus tard, avec de l’argent fédéral), 132 policiers sont entrés dans le réseau de métro de Montréal, avec leur cent trente-deux fusils.

Les impacts sur les consciences et sur les crimes ont suivi des chemins opposés.

Il est assez difficile de recueillir les chiffres des crimes dans le métro (les statistiques n’apparaissent pas dans les rapports annuels publics de la STM, les chiffres qui sortent mélangent souvent tous les crimes et délits (i.e. contraventions pour retenir les portes) sur tout le réseau (bus, abribus, etc) et sont imprécises quant aux lieux (i.e. compte-t-on les arrestations pour «flânage» et possession de drogues à l’entrée de Berri-Uqam?) . En croisant les chiffres de la Pressela police de CTV et The Gazette, on rapporte une hausse de 50 % de la criminalité entre 1999 et 2004, une baisse de 2004 à 2008, une hausse de 2008 à 2010, puis une nouvelle baisse de 17,6 % en 2011. Il semble donc à première vue difficile d’établir un lien entre la baisse du crime et la présence des policiers armés. Même eux sont d’avis qu’il n’y a pas vraiment d’actes violents dans le métro.

Par contre, la sensation de sécurité des usagers du métro est à des sommets historiques. De 89% en 2007, nous sommes 94% en juin 2011 à se sentir protégés, selon un sondage de la STM.

Contrairement aux États-Unis, où il est impossible de dire si le taux de crime avec arme baisserait ou monterait si on en réduisait le nombre et l’accès, il est possible d’affirmer que nous nous sentons plus en sécurité dans le métro depuis qu’on y a introduit une présence armée.

Je suis conscient que le «sentiment de sécurité» est volatile, peu rationnel et qu’il peut être induit par d’autres facteurs que la présence armée de policiers, comme la baisse généralisée du crime à Montréal. Pourtant, personne ne réclame publiquement le retrait des policiers armés de la STM. Il est alors, admettons-le, très tentant d’admettre que nous ne nous sentons pas menacés par la présence d’armes, même si le métro est, de l’avis de la police, un endroit où le sentiment d’insécurité est généralement plus élevé qu’à la surface.

Je n’aime pas du tout les fusils, ni ceux qui les défendent. Mais je me dois de constater qu’ils exercent un effet fascinant chez l’humain: l’impression d’être intouchables. J’éprouve la sensation inverse, et j’éprouve un malaise à chaque fois que je vois les armes de poing du duo de policiers qui passent d’un wagon à l’autre. Ou celles des douaniers de Lacolle et de l’aéroport de Dorval.

Soyons seulement un peu plus consciencieux avant de traiter de fous ceux qui ont les même comportements que nous.

PS: Ce vidéo de la réponse de la STM à une «vague» de crimes dans le métro. Nous étions en 1983. Et pas mal moins obsédés par la «sécurité».